Le lendemain matin, Audrey marche jusqu'à l'école avec nous. C'était mon idée. Avec tout ce qui s'est passé, je veux pas la laisser seule ; je sais qu'elle a besoin de moi. Alors, j'essaie de détendre l'ambiance avec des blagues vaseuses. 

- Alors Audrey... c'est la blague de la cravate, tu connais ?

- Non ?

- Elle est longue et plate ! 

Elle laisse échapper un rire forcé. 

- Hilarant, commente-t-elle. 

- Je pense que j'ai hérité de tout le sens de l'humour, mais que t'as rien eu, ajoute Dylan. 

Bon, au moins j'aurai essayé. 

Dans le hall d'entrée, Adrien et Sabrina font connaissance. 

- Alors comme ça ton père est militaire ?

- Pas que ! C'est un commandant, un vrai de vrai. 

Sabrina fait un sourire poli. Mais en réalité, le ton arrogant d'Adrien l’écœure au plus haut point. 

- Je vois, répond-elle en pinçant les lèvres. Fascinant. 

- Dis, tu connais Dylan Aubry ? ajoute-t-elle pour changer de sujet. 

- Bah c'est mon cousin, mais il est... 

- Trop mignon, le complète-t-elle d'un ton rêveur. 

- Complètement nul, la corrige Adrien. Zéro, après zéro, après zéro... Il a pas d'avenir, ce type. 

Sabrina le regarde comme s'il venait de dire une atrocité. 

- Arrête de dire de la merde ! T'es jaloux, c'est tout !

En nous apercevant, Sabrina fait un grand sourire.

- Dylan !

Enfin... en l’apercevant, plutôt. Elle est pas un peu accro ? 

- Coucou beauté ! dit-il en lui adressant un clin d’œil charmeur. 

Adrien lève les yeux au ciel, écœuré. Moi aussi. Je pensais m'être sortie de cette ambiance dégueulasse à l'eau de rose en partant de l'île Citron, mais faut croire que c'est raté ?

- Tu veux te mettre à côté de moi en classe ? ajoute-t-il. C'est pas que Chewbacca est nulle, mais... 

Merci ! Ah, l'amour fraternel...

- Ouiii ! répond-t-elle avec des étoiles dans les yeux. J'allais te le proposer. 

J'ai le droit d'aller vomir ? Non, parce que là... 

En classe, des clans commencent déjà à se former. Dylan et sa douce Sabrina, pour commencer, puis Adrien, qui ne semble pas non plus pouvoir lâcher la blonde des yeux ; non mais sérieux, ils lui trouvent quoi ?

À sa droite, Cassandra, qui s'est enfin trouvé un pote de ragots.

Au fond à droite, Léa et Sylvain, mais je les connais pas trop. Je pense qu'ils traînent ensemble parce qu'ils sont pensionnaires. 

Puis, moi et Audrey. J'essaie de me racheter en l'aidant à retrouver le moral. Oui, je me sens coupable... mais en même temps, vous voulez que je fasse quoi ? Que je l'abandonne encore ? Je suis pas un monstre... 

On m'appelle Chewbacca, mais la similitude s'arrête là. 

J'essaie d'être souriante en sa présence, de lancer des blagues, de l'encourager. Tout ce qu'une amie devrait faire. J'ai pas trop d'expérience en la matière, mais je pense que je me débrouille plutôt bien.

Au moins, elle va mieux qu'hier. 

- T'as pas dormi ?

Audrey acquiesce et je devine qu'elle a cherché Nathan pendant toute la nuit. 

- Je vois... rien trouvé ?

- À ton avis... ?

- J'espère que vous êtes prêts pour le test diagnostique !

Audrey pâlit. Elle a pas étudié, hein ? Trop occupée à chercher Nathan... 

- Allez, je distribue les copies. Rangez vos notes !

- J'ai étudié toute la nuit, dit Sabrina avec fierté. Je pense que je vais m'en sortir. Et toi ?

- Euh... ouais, pareil. 

- On ne parle pas, les interrompt Romain Miller en leur tendant deux feuilles. 

Dylan prend sa copie en se mordant les lèvres.  

Ne te fais pas d'illusions, Sabrina. Mon cher jumeau a passé la nuit à jouer à SSX3. Étudier, c'est un mot qu'il ne comprend pas, et qu'il ne comprendra tout simplement jamais. Ah, l'innocence... 

Je profite de la pause pour aider Audrey dans ses recherches. Son visage cerné me fait de la peine. J'arrive pas à m'ôter de l'esprit qu'au fond, c'est peut-être de ma faute. Si je lui avais dit la vraie nature de Nathan... si je lui avais expliqué qu'il m'avait embrassée le jour de son arrivée, sans prévenir... 

J'aurais pu tout éviter. 

Les doigts tremblants, elle allume l'ordinateur.

- J'ai cherché un peu partout... juste avec son nom, ou alors son nom de famille... j'ai aussi cherché Jade, mais je pense qu'elle existe pas non plus, m'explique Audrey. Ils doivent avoir utilisé un faux nom... 

- Tu as demandé à Sabrina ? Elle est de Fraiseville.

Audrey hoche la tête. 

- Elle dit que Fraiseville, c'est immense. Elle connaît pas tout le monde... 

- Tu as laissé ton numéro à Nathan ?

- Oui, mais j'ai pas de nouvelles. Et le sien... est hors service. Il m'a donnée un faux numéro, Katia... t'imagines ?

Audrey fait défiler les photos de tous les Nathan qu'elle peut trouver sur Facebook. Les yeux rivés sur l'écran, elle déglutit. Sa respiration accélère. Il n'est pas là. Il est introuvable... 

- J'ai été conne de penser qu'il pouvait s'intéresser à moi. 

Elle baisse les yeux. 

- Il était beau, hein... ? Et tellement gentil... tout simplement parfait... 

- J'ai vécu un rêve. Et là, je me réveille... 

Je peux pas lui cacher ça plus longtemps. Ce type est pas parfait, c'est un connard... !

- Audrey... faut que je t'avoue un truc. 

- Mesdemoiselles ?

Je sursaute en entendant la voix de monsieur Miller. 

- Je dois parler à mademoiselle Laprairie.

Je serre les dents. Sérieux ? Il aurait pas pu mieux choisir son moment ? J'allais enfin tout lui expliquer, et il se pointe, en plein pendant la pause ! Pas moyen d'avoir de vie privée dans ce foutu collège. C'est pire que Loft Story... !

- Vous pouvez pas attendre un peu ?

- C'est... comment dire, urgent. 

Ça peut pas être plus urgent que ce que j'allais dire, merde ! 

- J'avais fini, de toute façon, lance Audrey d'une voix monotone. 

Elle éteint l'ordinateur. 

- Parfait, répond Romain Miller en souriant. Tu me rejoins dans la classe ? 

- Oui. 

- Je m'excuse de vous avoir interrompues, toi et ton amie. 

Romain s'installe à son bureau. 

- C'est rien, répond-t-elle dans un murmure. Ça va. 

- Non, ça va pas. Tu peux m'expliquer ce que signifie cette copie vide ?

- Je... 

Audrey baisse les yeux, intimidée. 

- Tu as eu la pire note de toute la classe, Audrey. Pire que Dylan. Et pourtant, tes anciens bulletins mentionnent une fille douée, souriante, agréable... il s'est passé quelque chose hors des cours ?

- Non. 

- Me prend pas pour un con. Je manque peut-être d'expérience, mais j'ai été un adolescent, moi aussi. J'ai cru comprendre que tu avais un travail hors des cours ?

- Oui, mais...

- S'il t'empêche de réussir à l'école, tu devrais peut-être songer à remettre ta démission. 

Audrey devient blême. 

- Non, non ! Je vais bien, je vous assure !

- Ça va passer, ajoute-t-elle. C'est... un moment difficile, c'est tout.